Tribune parue dans Mediapart le 6 décembre 2018.
Plus d’une centaine d’universitaires, de toutes les disciplines, appellent à témoigner des violences sexistes ou sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche, grâce aux réseaux Tumblr SupToo et #SupToo. Loin d’être des lieux préservés, «nos établissements sont des espaces où les circonstances aggravantes, d’abus d’autorité et de dépendance, sont au cœur même des fonctionnements institutionnels».
Toutes les enquêtes le montrent, les violences faites aux femmes concernent tous les milieux sociaux et professionnels. Il n’y a donc aucune raison que nos universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche en soient préservés. D’autant plus qu’en leur sein les relations hiérarchiques se conjuguent souvent aux rapports de pouvoir multiples liés à l’autorité, au prestige, aux grades et aux fonctions.
Le recrutement des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs, leurs promotions, l’attribution de responsabilités ou le financement des contrats doctoraux sont décidés par des pair·e·s. En master ou en thèse, certaines démarches administratives (réinscription, bourse, titre de séjour, etc.), les demandes de financement, les lettres de recommandation, les candidatures à des postes ou les autorisations de publication nécessitent l’appui des responsables de master, de mémoire, du directeur ou de la directrice de thèse, de laboratoire, d’équipe de recherche etc.
Loin d’être des lieux préservés, nos établissements d’enseignement supérieur sont donc des espaces propices aux violences sexistes et sexuelles, où les circonstances aggravantes, d’abus d’autorité et de dépendance, sont au cœur même des fonctionnements institutionnels.
D’un établissement à l’autre, cela conduit à des situations qui se ressemblent tristement.
C’est l’étudiante, d’abord fière que son responsable de diplôme souhaite travailler sur son projet de mémoire le soir après les cours, et qui se trouve progressivement prise dans une spirale sans plus savoir comment dire non. Elle commence à ne plus venir en cours, subit les blagues de son harceleur devant le rire des autres étudiant·e·s et finit par arrêter ses études, dans l’incompréhension totale de ses parents.
C’est la doctorante qui, en colloque à l’étranger, ne sait plus comment faire comprendre à son directeur de thèse que non, elle n’a pas besoin d’être raccompagnée jusqu’à la chambre de son hôtel. Une fois rentrée dans son laboratoire, elle craindra les échanges seule avec lui, il lui reprochera alors d’être moins investie, et préfèrera soutenir un autre projet plus prometteur.
Ainsi, les violences bénéficient d’un contexte favorable : abus de pouvoir et de confiance, dépendance et silence, vulnérabilité exacerbée pour les étudiantes étrangères connaissant mal leurs droits et plus isolées. Car la personne qui les dénoncera courra le risque d’être privée de toute chance d’avoir une carrière académique ; il sera facile d’avancer des motivations scientifiques (manque de qualification ou de motivation) pour convaincre les instances compétentes de rejeter sa candidature à un recrutement ou une promotion. Bien sûr des sections disciplinaires existent et sont parfois mobilisées mais elles sont composées de pair.e.s appartenant à l’établissement, trop peu formé.e.s et outillé.e.s sur ces sujets, méconnaissant jusqu’à leur propre rôle, et leur saisine peut s’avérer compliquée, largement tributaire du bon vouloir de la direction ou présidence de l’établissement, du rectorat ou du ministère.
Depuis quelques années les choses commencent à changer. Des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles se mettent en place, des formations toujours plus nombreuses sont proposées, des guides sont publiés, des campagnes de sensibilisation sont produites et des groupes de travail existent, avec le soutien du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Une dynamique très positive est enclenchée, avec un investissement remarquable des personnes qui portent ces dispositifs, et des associations partenaires. Mais cela ne suffit pas, les sanctions envers les agresseurs sont souvent minimes et les moyens manquent cruellement.
L’expérience des établissements mobilisés montre que, pour pouvoir entendre la parole des témoins et des victimes, accompagner ces dernières dans toutes les dimensions nécessaires (médicale, juridique, psychologique, sociale…), mais aussi mener des actions de prévention, tous les établissements doivent disposer d’au moins une personne formée et à temps plein sur les questions d’égalité. De plus, l’institution doit maintenant prendre conscience de l’ampleur du phénomène et construire des garde-fous plus efficaces contre les violences faites aux femmes.
Pour la mise en œuvre effective de la circulaire du 9 mars 2018 relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique, nous demandons donc que des moyens conséquents soient dégagés, accompagnés d’une large réflexion sur les dysfonctionnements de nos établissements. Nous appelons le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la conférence des présidents d’université, la conférence des grandes écoles, la conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, les président.e.s d’université, les syndicats, les associations et l’ensemble des personnels à se saisir pleinement de ces enjeux.
Afin de soutenir cette dynamique, nous invitons toutes les femmes et tous les hommes à partager leur expérience en tant que témoin ou victime de violences sexistes ou sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche. Plusieurs réseaux existent : Tumblr SupToo, #SupToo. Vous pouvez aussi vous adresser à la mission Égalité ou à la cellule contre le harcèlement de votre établissement lorsqu’elle existe, et soutenir sa mise en place lorsqu’elle n’est pas encore instituée.
Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche forment les citoyens et citoyennes de demain, ils se doivent d’être exemplaires en matière d’égalité et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ensemble, mobilisons-nous pour un enseignement supérieur et une recherche sans violences.
Signataires :
Sylvie Cromer – sociologie
Philippe Liotard – épistémologie
Séverine Lemière – économie
Colette Guillopé – mathématiques
Réjane Sénac – science politique
Yves Raibaud – géographie
Gabrielle Houbre – histoire
Brigitte Ranque – médecine
Béatrice Delzangles – droit public
Nolwenn Lécuyer – archéologie
Claudine Hermann – physique
Rozenn Texier-Picard – mathématiques
Artemisa Flores Espinola – sociologie
Kamila Bouchemal – études de genre, littératures comparées
Michèle Ferrand – sociologie
Elisabeth Luquin – anthropologue
Cendrine Marro – psychologie et sciences de l’éducation
Anne-Laure Féral-Pierssens – médecine
Dominique Chandesris – physique
Pascale Molinier – psychologie sociale
Barbara Schapira – mathématiques
Nathalie Bertrand – informatique
Rachel Silvera – économie
Rebecca Rogers – histoire
Catherine Marry – sociologie
Hélène Marquié – études de genre, art
Françoise Vouillot – psychologie
Jules Falquet – sociologie
Gwenaelle Perrier – science politique
Marion Charpenel – sociologie
Anne Eydoux – économiste
Florence Rochefort – histoire
Hélène Fleckinger – cinéma
Erika Flahault – sociologie
Marion Girer – droit
Dominique Fougeyrollas – sociologie
Azadeh Kian – sociologie
Françoise Milewski – économie
Christelle Hamel – sociologie
Sophie Pochic – sociologie
Patrick Laurenti – biologie
Hélène Nicolas – anthropologie
Françoise Picq – science politique
Nathalie Lapeyre – sociologie
Hélène Breda – sciences de l’information et de la communication
Marina Rosas-Carbajal – sciences de la Terre
Fatiha Talahite – économie
Delphine Naudier – sociologie
Mathilde Guergoat-Larivière – économie
Anne-Marie Devreux – sociologie
Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles – épidémiologiste
Fabienne Gillonnier – EPS-STAPS
Lucile Ruault – sociologie politique
Marion Tillous – géographie
Eliane Viennot – littérature
Fabrice Dhume – sociologie
Jessica Brandler-Weinreb – sociologie
Coline Cardi – sociologie
Anne Bertrand – mathématiques
Margaret Maruani – sociologie
Soline Blanchard – sociologie
Virginie Nicaise – psychologie
Anne-Françoise Bender – gestion
Nathalie Coulon – psychologie
Christine Gruson – sociologie
Rose-Myrlie Joseph – sociologie
Geneviève Pruvost – sociologie
Catherine Thibault – physique nucléaire et physique des particules
Joëlle Wiels – biologie
Hélène Périvier – économie
Hyacinthe Ravet – sociologie et musicologie
Cécile Ottogalli-Mazzacavallo – histoire
Delphine Chedaleux – histoire des médias
Geneviève Pezeu – sciences de l’éducation
Frédéric Le Roux – mathématiques
Indira Chatterji – mathématiques
Maxime Forest – science politique
Anaïs Bohuon – STAPS
Clare Ramsbottom – anglais
Didier Chavrier – sciences de l’éducation
Nahema Hanafi – histoire
Claire Blandin – sciences de l’information et de la communication
Fabrice Virgili – histoire
Karine Bergés – civilisation espagnole
Natacha Lillo – civilisation espagnole contemporaine
Yannick Chevalier – grammaire et stylistique française
Pascale Rialland – biologie
Antoine Cazé – littérature américaine
Anne Le Friant – sciences de la Terre
Pascal Tisserant – psychologie sociale
Michela Petrini – physique
Christian Brouder – physique
Condon Stéphanie – socio-démographie
Christine Rivalan Guégo – études hispaniques
Alice Debauche – sociologie
Emmanuel Fureix – histoire
Magali Mazuy – sociologie et démographie
Camille Schmoll – géographie
Jean-Christophe Komorowski – sciences de la Terre
Florence Gherchanoc – histoire
Annik Houel – psychologie sociale
Françoise Thébaud – histoire
Laure Bonnaud – biologie
François Bouteau – biologie
Marguerite Cognet – sociologie
Josette Feral – études théâtrales
Nathalie Feuillet – sciences de la Terre
Éric Queinnec – biologie
Régine Dhoquois – droit
Marion Paoletti – science politique
Cedric Lemogne – médecine
Sandrine Rousseau – économie
Antigoni Alexandrou – physique
Audrey Darsonville – droit
Fanny Gallot – histoire
Gaël Pasquier – sociologie
Romain Pudal – sociologie
Silyane Larcher – science politique
Claire Cossée – sociologie
Irène Peirera – philosophie
Aude Rabaud – sociologie et anthropologie
Samir Hadj Belgacem – sociologie
Marion Carrel – sociologie
Violaine Girard – sociologie
Lissel Quiroz – histoire
Laure Pitti – sociologie
Abdellali Hajjat – science politique
Arlette Gautier – sociologie
Frédérique Le Doujet-Thomas – droit
Sandy Montanola – information et communication
Irène Berthonnet – économie
Myriam Hachimi Alaoui – sociologie
Lissel Quiroz – histoire
Jérôme Courduriès – anthropologue
Jean-Baptiste Combes – économie de la santé
Miyana Hémadi – chimie
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