Sylvie Cromer est interviewée par Isabelle Dautresme pour EducPros.fr sur le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur. Elle y évoque notamment le Vade-mecum.
Pour Sylvie Cromer, maître de conférences en sociologie à Lille 2 et chercheure associée à l’Ined, les responsables d’établissements supérieurs doivent s’emparer de la question du sexisme et des violences sexuelles avec des dispositifs adaptés.
Le harcèlement sexuel est-il très répandu dans l’enseignement supérieur ?
Les nombreux témoignages de personnes harcelées, et plus largement de victimes de violences sexistes ou sexuelles, reçus par le collectif Clasches attestent de la réalité du phénomène dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mais, en l’absence d’études scientifiques menées sur le sujet, il est difficile d’avoir une idée précise de son ampleur.
En 2015, l’Ined a mené une enquête quantitative nationale sur les violences et les rapports de genre dans toutes les sphères de vie, à laquelle ont participé quatre universités françaises. On devrait donc en savoir davantage dans les prochains mois.
Ces enquêtes existent depuis longtemps dans d’autres pays, comme en Espagne. La France n’est clairement pas en avance sur ce sujet. Mais les choses bougent. Le vade-mecum sur le harcèlement sexuel à l’usage des établissements en témoigne.
Le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur présente-t-il des particularités ?
Il y a effectivement des particularités. Non pas sur la nature des actes, mais sur le fait que, dans un établissement d’enseignement supérieur, travaillent ou étudient des personnes aux statuts divers : professeurs, enseignants-chercheurs, vacataires, personnels administratifs, étudiants… Aux rapports hiérarchiques s’ajoutent des rapports de pouvoir, liés au prestige et à l’autorité.
La relation entre doctorants ou étudiants et directeurs de thèse, par exemple, est particulièrement complexe. Elle est faite à la fois d’estime, d’admiration, voire de séduction intellectuelle, ce qui peut encourager des comportements pouvant relever de la discrimination ou de l’agression sexuelle.
Le-la doctorant-e est en outre dépendant-e de son directeur de thèse dans de nombreuses situations : réinscription, bourse, demandes de financement, candidature sur un poste, voire pour un titre de séjour.
Par ailleurs, la vie universitaire étant très riche en interactions, les occasions d’imposer des relations de pouvoir sont nombreuses. Or, si les violences sexuelles résultent des rapports de pouvoir, elles sont aussi un moyen de les maintenir. Lorsque des femmes entrent dans des milieux jusque-là tenus par des hommes, une concurrence se met en place.
Un moyen de lutter contre cette concurrence est de mettre en œuvre des comportements sexistes qui déstabilisent les femmes et sont un frein à l’égalité professionnelle.
Pourquoi est-ce si difficile de lutter contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur ?
Cela s’explique en partie par le fait que nous avons une représentation fausse de ce qu’est le harcèlement sexuel : celui-ci se produirait dans les milieux peu éduqués, ou avec des personnes étrangères qui n’ont pas les mêmes codes ou valeurs. À l’université, lieu de savoir policé, il ne saurait y avoir de violences sexuelles. Dans un tel contexte, il n’y a rien d’étonnant à ce que les victimes hésitent à parler.
À cela s’ajoutent des sentiments d’impuissance pour la victime et d’impunité pour l’agresseur, accrus par des procédures d’instruction et de jugement propres à l’enseignement supérieur. Il est impossible pour la victime de saisir directement la section disciplinaire de l’université. Elle doit déposer une requête auprès du président qui décidera, ou non, de la convocation de la section disciplinaire.
Par ailleurs, le harceleur présumé est non seulement jugé par ses pairs mais ceux qui instruisent le dossier sont également ceux qui le jugent. Depuis la loi sur l’égalité femmes-hommes de 2014, la victime peut demander le dépaysement de l’affaire dans un autre établissement. C’est une avancée, mais cela ne règle pas le fond du problème. Le harceleur présumé continue en effet d’être jugé par ses pairs qui peuvent être tentés d’avoir un réflexe corporatiste.
Comment alors faire reculer le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur ?
Il faudrait déjà reconnaître la gravité du sexisme et des agressions sexuelles. Les présidents d’université et les directeurs d’établissement supérieurs doivent tenir un discours clair sur ces questions : les violences sexistes et sexuelles contreviennent aux droits de travailler ou d’étudier dans des conditions qui assurent le respect et la dignité de chacun et entretiennent les inégalités entre les sexes.
Les responsables, conformément aux directives notamment la circulaire du 25 novembre 2015, doivent avoir une politique volontariste. il leur revient de mettre en place des mesures de prévention et de les faire connaître, notamment à l’occasion des journées de prérentrée, des visites de campus, dans les livrets d’accueil…
Trop de responsables ont dans l’idée que ces questions ne sont pas importantes. Dans beaucoup trop d’endroits encore, le harcèlement sexuel est un “non-sujet”. S’attaquer au sexisme est vécu par certains comme une restriction de liberté. Mais les choses évoluent petit à petit. De nombreux établissements ont pris des initiatives dans ce sens, mais nous souhaiterions que cela aille plus vite.
Un étudiant victime de harcèlement sexuel n’a d’autre choix que de porter plainte. N’est ce pas un frein à la lutte contre ces violences ?
Faire reculer le harcèlement suppose également de réfléchir à d’autres recours possibles que le pénal. Il est de la responsabilité des chefs d’établissement de mettre en place des dispositifs d’accompagnement des victimes et de traitement du harcèlement. Trop souvent, quand il y a une situation d’agression sexuelle, la victime s’entend dire que ce n’est pas si grave ou bien encore qu’elle n’a qu’à déposer une plainte.
Mais aller au pénal est une démarche très lourde. Entre le dépôt de plainte et le jugement, les choses perdurent pendant plusieurs années. Or, ce que souhaite la victime, c’est que le harcèlement s’arrête tout de suite. Le pénal doit donc rester un choix et non le seul recours pour des étudiants victimes de harcèlement.
L’enjeu de la lutte contre le sexisme et les violences sexuelles est double : la réputation des établissements en France… Mais aussi à l’international, ainsi que l’égalité entre les sexes.
Entretien réalisé par Isabelle Dautresme – Publié le 17/05/2016 à 18h09
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